jeudi 21 mars 2013

[Eternal] La Nuit


J'ai froid... si froid...
Mon corps gelé n'osait plus trembler de peur de se briser. La neige m'entourait comme un linceul et les arbres au dessus de ma tête formaient le couvercle de mon cercueil. Mon cœur battait fébrilement, tentant de combattre l'épuisement et mon cerveau engourdi m'envoyait vainement des signaux de détresse. Les étoiles ricanaient dans le ciel noir qui m'encerclait et la Lune n'était pas là pour me rassurer.
La nuit entière était devenue ma tombe.
La Mort dansait autour de moi, sa longue faux traçant des lignes mortelles autour de mon corps immobile, m'emprisonnant dans l'effroyable attente du trépas.
Mais je préférais mourir plutôt que te pardonner.
Orgueil morbide m'interdisant la clémence, j'étais prête à sacrifier ma vie plutôt que de lâcher la vengeance qui me rongeait depuis des mois. J'avais perdu le combat face à toi, tout comme j'avais perdu le combat face à l'Amour et la Haine...
Je t'aime. Je te hais.
Je te pardonne. Je t'en veux.
Je refusais à mon cœur le droit de t'offrir la grâce de t'excuser de tes erreurs, tout comme je lui refusais le droit de te haïr encore pour ce que tu m'avais fait.
Sauf que tu m'avais vaincue. Et que cela te donnait le droit de vie et de mort sur ma personne puisque c'est ainsi que l'affrontement s'était scellé. Je gagnais, tu disparaissais à jamais de mon existence. Je perdais, tu m'arrachais à ma condition humaine pour me plonger dans l'esclavage.
Quel marché affreux...
Lorsque nous étions en train de nous déchirées comme des lionnes, j'ai songé au gouffre qui allait m'engloutir si tu partais à nouveau, j'ai songé à ta cruelle absence qui m'avait détruite ces six derniers mois, j'ai songé à l'oppressante solitude, j'ai songé à ton impérissable souvenir, j'ai songé que ton départ sonnerait ma fin.
J'ai songé et j'ai eu peur.
Tellement peur que même ton coup de grâce ne m'a pas suffisamment touché pour que je souffre mais je suis malgré tout restée clouée au sol. Parce que j'étais terrorisée à l'idée de te perdre à nouveau et que je ne m'en étais rendue compte qu'au pire instant. Tu avais gagné mais je n'étais pas sûre de vouloir te pardonner.

Mon corps s'enfonce un peu plus dans la couche glaciale, j'entends tes pas furtifs t'amener jusqu'à ma dépouille froide mais je ne lève même pas les yeux pour te regarder en face.
L'esclave ne doit jamais fixer son maître dans les yeux.
La Haine ne croisera jamais le regard de l'Amour.
Tu t'allonges à mes côtés dans mon tombeau de neige, ton corps brûlant se pose contre le mien et des frissons parcourent mon échine.

- Tu penses trop

Je tourne la tête. Tu souris avec tes lèvres fendues et ensanglantées, avec tes yeux noirs embués de larmes. Que je l'aime ce sourire, je l'aime comme on aime un ennemi. Tes cheveux d'ébène, trempés de sang, retombent sur mon épaule, l'hémoglobine coule encore sur tes mèches ténébreuses et se mélange à la blancheur de la neige ainsi qu'à ma crinière d'or terni.

- Je te hais.

Les mots avaient fuis hors de mes lèvres mais je ne les regrettais pas, ils étaient trop vrais pour cela. Tu éclate de rire, comme si mes paroles auraient été amusantes et banales :

- Dans ta bouche, cette déclaration sonne différemment.

Mon cœur se serre, blessé. Tu me connais trop, mes dires haineux sont des déclarations d'amour à tes oreilles et mes regards noirs pétillent comme deux pupilles attendries par ton sourire.

- Et si je te dis que je t'aime ? soufflai-je, presque avec ironie

Ton visage se rapproche du mien et, durant une folle seconde, mon pouls accélère au rythme de mon organe vital. L'envie brusque de plaquer tes lèvres contre les miennes me fait haleter et, lorsque ta bouche sur pose sur ma bouche, je bénis le froid qui m'empêche de t'emporter dans mes bras.
Notre baiser, le premier depuis six mois, a le goût sucré du désir et celui, enivrant, de la tentation. Tes doigts filent le long de mon visage, de mon cou, de ma poitrine, de mon ventre, de mes hanches. Mon corps figé s'incendia brutalement, irradiant chacun de mes sens, le souvenir de nos nuis d'autrefois m'envoie des échos assourdissant qui brisent les digues de ma rancœur défaillantes.
Mes mains se refermèrent sur tes courbes.

La neige recommence à tomber.
Mais mon tombeau solitaire est devenu un lit de débauche à tes côtés
Le couvercle de mon cercueil devint un drap de satin
Et le linceul prit la blancheur de tes mains.

La Mort dansait toujours autour de moi
Mais sa faux ne battre l'air autour de toi
La Vengeance courbe l'échine sous tes caresses
Et le Pardon s'allonge à nos côtés, plein de tendresse

Brûlons encore, moquons-nous du froid
Illuminons la nuit et brisons toutes les lois
Nos corps dominent les simples passions
Nos âmes jouissent de l'antique déraison.

Deux louves dansent ce soir là
Deux cœurs s'enfuient dans l'au-delà
La Haine et l'Amour s'étreignent dans les flammes.
Le Coeur Mort et l'Aigle Noir meurent dans les larmes...

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